Il y a quelques mois, dans ma vie professionnelle comme dans ma vie privée, la question de la religion ne se posait pas. Depuis le mois d’octobre, mon identité semble tourner essentiellement autour de mon appartenance religieuse. Sur les réseaux sociaux, sous le couvert d’anonymat, j’ai vu un visage de ma terre d’accueil que je n’aurais jamais cru exister avec une telle force. Il y a tant de xénophobie que j’en suis encore abasourdie.
Le cri du coeur
À visage découvert, les gens autour de moi m’ont surtout questionné sur l’islam. Pour certains, je suis devenue la représentante, la voix de toute la communauté musulmane. Pour d’autres, carrément une théologienne (Ok, je sais quelques trucs sur les autres religions mais quand même!). Néanmoins, je trouve ça sain de poser des questions alors il me fait plaisir de partager mes connaissances et de m’exprimer sur la façon dont je vis ma croyance. Cependant, par moment, j’ai senti, sur les réseaux sociaux, qu’il y avait dans la formulation de certaines questions destinées aux musulmans en général, un reproche. C’est comme si, à chaque fois, on me tapait sur l’épaule pour me dire : « Elle est où cette majorité de musulmans pour protester contre ces actes barbares!? ».
On nous demande de réagir voire de faire cesser les horreurs du Daesh, de l’EI ou d’Al Quaïda. Je n’ai aucune envie de faire de la politique mais sommes-nous vraiment à demander à des millions de civils de se révolter? Si c’était si simple, Raïf Badawi ne risquerait pas la peine de mort. Et par pitié, épargnez-moi le « Ici, au Québec, une manifestation étudiante nous a permis de faire reculer le gouvernement ». Comparons des pommes avec des pommes : au Québec la population a le DROIT de manifester et de critiquer les décisions du gouvernement qu’elle a ÉLU pour la représenter. Ce n’est pas le cas partout dans le monde! Nombreux sont les musulmans qui risquent la prison, la torture ou pire, la mort pour dénoncer. Ce n’est pas parce que les médias que vous écoutez ne relayent pas la nouvelle qu’il ne se passe rien.
Le traitement médiatique
Depuis le mois d’octobre, les médias s’intéressent beaucoup à l’islam. Mais pas n’importe lequel : la grosse part va à l’intégrisme, à cette fraction minime et radical de l’islam. J’imagine que c’est vendeur de faire peur au monde. On en arrive à sur médiatiser la demande de permis d’un imam de Montréal, pour l’ouverture d’un centre communautaire et le refus d’établissement de mosquées dans certaines villes du Québec. Que véhicule-t-on comme image? Celle de musulmans réfractaires à l’idée de s’intégrer à leur société d’accueil. On focalise sur les signes extérieurs de religion et on ouvre grands la porte aux préjugés et amalgames. Que génère-t-on dans la population? La peur de l’autre.
À en croire les médias, c’est l’invasion! Saviez-vous quelle proportion de la population canadienne les musulmans représente ? 3,2% selon le recensement de 2011. Au Québec, les musulmans représentent 1,5% de la population. Il est vrai que certaines villes comme Toronto, Montréal et Vancouver accueillent la majorité des immigrants. On peut s’attendre à une proportion plus importante. Prenons donc Montréal : 9,5%. À titre comparatif, les catholiques représentent 2/3 de la population canadienne, 83% de la population québécoise et 54,5% des Montréalais. A-t-on vraiment des raisons de paniquer quand on sait que la large majorité de ces musulmans ne sont même pas conservateurs et encore moins des islamistes ? Allez jeter un coup d’oeil à cet article de Radio Canada fort instructif.
Les musulmans du Québec
Mais revenons à la base. Les musulmans du Québec, qui sont-ils? Ils viennent essentiellement du Maghreb. Saviez-vous que globalement, cette immigration maghrébine est instruite (le taux de qualification universitaire ou technique est établi à 45%) et francophone (96,5% de la communauté maghrébine parlent français) mais demeure celle qui connaît le plus haut taux de chômage ? 28% des immigrants d’Afrique du Nord vivant au Québec depuis 5 ans et moins sont touchés. C’est quatre fois plus que la norme québécoise. Tous les détails dans cet article des affaires et dans celui-ci du Point de bascule.
S’intégrer à sa société d’accueil est plus facile quand on réussit son intégration sur le marché du travail. J’en connais beaucoup qui ont dû créer leur propre emploi : je connais des éducatrices en milieu de garde qui étaient enseignantes dans leur pays d’origine. Et oui, les chauffeurs de taxi qui étaient architectes ou médecins dans une autre vie, ça existe vraiment. Ce sont des gens, comme vous et moi, qui font leurs petites affaires sans emmerder personne.
Dans quelle société souhaitons-nous vivre? Je vous pose la question. Pour ma part, je garde espoir d’un « vivre ensemble » harmonieux quand je vois fleurir des regroupements comme Dénonçons le racisme dans les médias sociaux ; des articles comme celui d’Alex Noël, de Sonia Ghaya ou de Marianne Phénix ; des actions comme celles de la communauté ahmadiyya et des films comme le prophète Mohammed et les femmes. Soyons fiers de la richesse que nous apporte la diversité, continuons à être ouverts en étant curieux de l’autre. Je profite de l’occasion pour dire merci à tous les Québécois (natifs et de cœur) qui m’ont accueillie et fait aimer ce coin de pays.
Je partage ton opinion à 100 %. Comme québécoise musulmane ayant vécu quelques années au Maroc et ayant épousé un marocain, je vis un peu la même chose. Même que les gens se permettent parfois un peu plus de questions que je qualifierais de maladroites (mais qui frisent le manque de respect), car ils se disent qu’à la base, je suis québécoise, donc on peut tout me dire et me demander sans prendre de gants blancs. Mais bon, je me dis que tant qu’il pose des questions, ils démontrent une ouverture et c’est déjà ça de gagné! 🙂
C’est comme si c’est moi qui ai écrit ça ! Chaque mots me rejoint.