Fille de photographe, la Québécoise Annabelle Marquis a opté pour une carrière d’illustratrice dans la publicité, persuadée qu’elle n’arriverait pas à gagner sa croûte comme artiste peintre. La naissance de son premier enfant est venue bousculer toutes ses certitudes. Elle réalise alors que la jeune femme dynamique et sociable qu’elle est peut aisément trouver son compte dans les bonheurs simples du quotidien et les vernissages où elle rencontre ceux qui tombent amoureux de son œuvre. Et quelle œuvre!
Que la créatrice couche sur ses toiles des taureaux prêts à la corrida ou des abstraits audacieux, qu’elle s’inspire des vers du poète québécois Émile Nelligan ou des femmes qui l’entourent, ses œuvres, qui allient acrylique et collage, sont toujours puissantes, voire bouleversantes. Les couleurs franches qu’elle emploie nous bousculent, nous galvanisent. Jamais de fureur, et pas plus de violence dans les dessins d’Annabelle Marquis. Mais une vie foisonnante qui incite à l’action, à la passion. Rencontre avec une artiste, mais surtout une femme, à découvrir de toute urgence.
Question : Votre dernière exposition a pour titre Fâme. Pourquoi avoir choisi cette graphie, plutôt que « Femme »?
Ça faisait déjà deux ans que je voulais peindre des visages de femmes. J’avais peur de me lancer parce que c’est plus technique, plus difficile à exécuter. Puis, j’ai décidé de me déstabiliser et de me lancer un défi. J’ai commencé à peindre au son d’une musique digne des pistes de danse. Je voulais capturer dans le regard des femmes toutes leurs émotions, leur intensité. Peindre des femmes qui s’assument, à la fois fortes et fragiles, mais qui ont toutes un côté glamour.
Le titre de mon exposition est venu pendant une séance de brainstorming. Le glamour et la musique entraînante nous ont conduits à fame. Si on prononce le mot en français, on obtient « femme ». Et en ajoutant l’accent, le mot contient également « âme ».
Question : Et avez-vous réussi le défi que vous vous étiez lancé?
Pour être honnête, les toiles qui composent Fâme ne correspondent pas complètement à ce que j’avais en tête au départ. Quand j’ai une idée, je pars en recherche. Je sais ce que je veux trouver, mais, en même temps, je ne le sais pas totalement. Dans cette quête de l’image, parfois, les choses ne tournent pas comme je l’aurais souhaité. Et à d’autres moments, le résultat est plus beau que ce que j’imaginais. J’en suis la première surprise!
Une toile, c’est comme un enfant. Lorsqu’il naît, on a une vision, une espérance. Mais on réalise qu’en vieillissant, il ne devient pas exactement l’être qu’on aurait voulu qu’il soit. Bien sûr, l’essence est là, les valeurs qu’on a pu lui transmettre. Tout ça agit comme un tuteur pendant que l’enfant grandit. Mais, autour de ce guide, on ne contrôle rien. On ne connaît pas à l’avance le résultat final. C’est la même chose lorsque je crée une œuvre.
Question : Vos sujets et vos sources d’inspiration varient énormément d’une exposition à une autre. Par contre, vous restez constante en travaillant toujours avec l’acrylique et le collage.
Je parlais des surprises qui surviennent pendant le processus de création. Cette fusion acrylique-collage a débuté de cette façon. C’est un accident! Au moment de créer ma première toile, j’étais à la recherche d’un bleu turquoise bien précis, qui rappelle un peu la mer des Caraïbes. Je mélangeais les couleurs, mais ça ne correspondait jamais à la nuance à laquelle je songeais. En feuilletant un magazine, je suis tombée sur LE bleu! Alors, j’ai déchiré la page et je l’ai ajoutée à ma toile.
Pour mes premiers collages, je trichais un peu. Ce n’était pas tout à fait assumé, plutôt camouflé. Aujourd’hui, je peux affirmer que je ne pourrais créer sans coller. Je pars toujours de petits bouts d’images déchirés au moment de débuter une nouvelle œuvre. Et, honnêtement, je me demande si j’aurais autant d’inspiration si je m’en tenais exclusivement à l’acrylique. Lorsque j’ai peint une série de taureaux prêts à la corrida, le collage composé d’images et de couleurs plus douces équilibrait la violence des bêtes et leur dureté.
Question : Vous avez à votre actif plusieurs expositions, vos toiles peuvent être admirées dans des galeries d’un océan à l’autre, et vous avez remporté plusieurs prix à des concours internationaux, notamment en France et en Roumanie. Pourtant, vous avez longtemps hésité à choisir ce métier.
Oui. Avant de me lancer en 2006, je ne croyais pas qu’on pouvait en faire un métier. Je me disais que je ne voulais pas manger du beurre d’arachide toute ma vie. Alors, je suis allée rencontrer des artistes qui vivaient de leur création. Et j’ai constaté que tout était possible. Mais pas facile.
Les galeries qui exposent mes toiles, je suis allée les chercher! J’ai trouvé des outils pour me vendre. Je remplis des formulaires pour des bourses, je participe à des concours. Je consacre beaucoup de temps à ma promotion. Mais je vis très bien avec ce côté plus « marketing » de mon travail. Et ça me permet de vivre ma passion!
Question : Vous avez déjà une idée pour votre prochaine exposition?
J’ai tellement de projets! Je sais pas mal ce que je veux faire en 2013-2014. Il y aura notamment une exposition à Baie-Saint-Paul l’automne prochain. Ce ne sera pas sur les femmes, cette fois. Je ne peux pas dire exactement ce que je ferai. Ce n’est pas coulé dans le béton. Mais je l’ai en tête.
En fait, je suis toujours sur la prochaine idée. Quand je peins un sujet, je m’ennuie forcément d’un autre. Mais ça ne veut pas dire que ce qui s’en vient pour moi sera un événement! Un projet, pour moi, n’a pas besoin d’être grandiose pour me rendre heureuse.