Des salles bondées. Des œuvres primées, telle Call Me Kuchu de Katherine Fairfax-Wright et Malika Zouhali-Worrall, sacrée meilleur documentaire à Berlin, et Beauty d’Oliver Hermanus, récipiendaire en 2011 de la Queer Palm à Cannes. Image+Nation, le doyen des festivals de films LGBT (lesbienne, gay, bisexuel, transgenre) au pays, n’est décidément plus l’événement marginal qu’il était à sa création. Pour souligner son 25e anniversaire, présenté cette année du 22 novembre au 2 décembre à Montréal, j’ai rencontré sa directrice Charlie Boudreau à qui j’ai eu l’occasion de poser quelques questions.
1- Au départ, pourquoi avoir choisi de vous impliquer à Image+Nation ?
D’abord, je l’ai fait par amour pour le cinéma. Au début des années 1990, j’ai travaillé à la programmation. Puis, il y a eu un changement d’équipe. Comme j’étais la plus expérimentée, je suis devenue directrice de l’organisation en 1996.
Évidemment, un événement LGBT a une opinion. Ce n’est pas un festival sur les fleurs! C’est engagé en soi! Depuis 25 ans, il y a eu des changements significatifs. Toutefois, il reste des luttes à mener. Si ce n’est pas ici, ce sera ailleurs.
Cependant, le cinéma LGBT, ce n’est pas exclusivement un cinéma de revendication. Si le festival a été créé, c’est d’abord parce que le besoin se faisait sentir. La communauté LGBT veut se voir au grand écran, veut qu’on lui raconte ses propres histoires, veut être l’auteure de son propre destin. C’est une façon de contrôler nos vies et nos représentations. Et cette voix a trouvé une légitimité dans le temps.
2- Comment est dépeinte la communauté LGBT au cinéma en 2012 ?
Les personnages sont réels, humains, complexes. On est loin des grandes folles et des lesbiennes butch auxquelles on a longtemps eu droit. Ou simplement des êtres excessivement malheureux, qui finissent par être tués ou se suicider. De plus en plus, on sent que le cinéma a évolué, qu’il est plus mature.
3- C’est le cas aussi au Québec ?
La production cinématographique LGBT a commencé il y a environ 17 ans dans la Belle Province. Les courts métrages sont plus nombreux. Puisque nous sommes des ambassadeurs de la voix québécoise, nous en gardons une sélection avec nous sur DVD dans notre tournée des festivals internationaux.
Du côté des longs métrages, il y a eu C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée ; certains personnages secondaires dans les œuvres de Manon Briand et de Léa Pool. Puis, les films de Xavier Dolan. Il y a très peu de longs métrages qui sont produits sur le sujet au Québec. Si les mentalités évoluent depuis 25 ans, il devrait y en avoir davantage. Mais, ce qu’on constate, c’est que l’équation fonctionne en sens contraire!
4- Quels sont vos coups de cœur de cette 25e édition ?
D’abord, Beauty d’Oliver Hermanus, qui raconte l’histoire d’un homme qui vit sa vie, mais qui, un jour, tombe amoureux. Le rythme est lent, voire un peu lourd. C’est difficile à expliquer, mais c’est à la fois dénué d’émotions et très sensible. C’est un peu violent aussi parce que l’homme ne sait pas comment exprimer ce qu’il ressent. C’est un magnifique portrait de quelqu’un qui ne fit pas dans la norme.
Il y a aussi Bullhead de Michaël R. Roskam. On s’y interroge sur la construction de la masculinité, sur ce que c’est que d’être un homme. J’ajouterais Hors les murs de David Lambert, qui pose un regard sur l’amour et ses difficultés. C’est le seul long métrage de Montréal.
5- Avez-vous constaté une évolution dans la perception qu’a le grand public d’Image+Nation ?
Sur la planète, il y a plus de 300 festivals de cinéma LGBT. Ce sont souvent de petits événements, mais nécessaires parce que beaucoup de gens n’ont que peu ou pas accès à ce genre d’images.
Je n’aime pas le terme « démystifier » parce qu’il n’y a pas de mythe. Mais on peut normaliser, naturaliser la vie des gays. Un homme m’a déjà raconté être venu voir un film avec un collègue, qui a ensuite fait son coming out. Et des jeunes nous remercient parce qu’ils peuvent fréquenter des lieux gays, mais plus safe que les bars, et où les discussions y sont moins anodines.
Je n’ai jamais été témoin d’une réaction négative du public à Image+Nation. Au contraire! Il y a des cinéphiles qui viennent voir nos films et qui ne sont pas gays. Et on veut ça. Il y a un bon mélange dans nos salles. Nous disons aux gens : venez avec votre famille, vos amis, vos collègues! Oui, il y a des gars qui s’embrassent, mais ce n’est pas la fin du monde. Et c’est une expérience collective. C’est un peu comme retourner au ciné-parc! Et cette atmosphère particulière, je trouve qu’elle manque de plus en plus.